Adapté du furieux et monstrueux roman de Donald Ray Pollock, hydre grinçante et ricanante à têtes multiples de mort, miroir aux mille vices, portrait baconien d’une Amérique malade, Le Diable, tout le temps d’Antonio Campos partait perdant d’avance sur le papier. Le prologue pourtant, séduit d’abord, élégant, intrigant, troublant. La narration semble couler, s’orienter avec majesté, ambition même, vers les routes crépusculaires et de plus en plus dantesques du roman. Le décor de Knockemstiff apparaît et avec lui ses monstres tapis dans la pénombre, pendant que la voix-off de l’écrivain himself cimente la narration et les différentes temporalités, sans qu’on se sente l’otage d’une leçon de sadisme qui n’aurait délecté que son auteur ou d‘un essai entomologique de petit malin, filmant de près, tout en prenant de haut, ces fleurs dégénérées du mal.
Et puis, le récit se déroulant, la mise en scène, classique, élégante au premier abord, commence à se craqueler pour révéler sa véritable nature, beaucoup plus chromée de près, intentionnelle, imitative, rêvant de convoquer Southern Gothic et parrains du roman noir, le Richard Brooks d’Elmer Gantry et le John Huston du Malin, mais hélas trop sage pour pouvoir s’y mesurer, pour transcender cette habile mais pâle décalque du roman Pollock, rappelant un peu les limites, il y a quelques décennies de cela, de l’adaptation de Curtis Hanson du L.A. Confidential de James Ellroy, Résultat, la monstruosité ne prend jamais véritablement prendre corps, se résumant à un petit bréviaire des horreurs, entrouvert un peu hypocritement, le temps de faire son petit effet, pour être aussi vite refermé.
Le Mal convoqué, invoqué, n’est jamais organique, ressenti, mais déjà vu, surligné, pendant que le film ne parvient jamais à creuser les abysses de l’âme de ses personnages faits d’un seul bloc, même solide. La durée, au lieu d’aider le film, finit par l’étirer, l’essorer, alors que la musique omniprésente ne parvient plus à ranimer l’image tournant à vide et que la voix off, désormais sentencieuse et trop bavarde, continue de se raconter une histoire. Hélas, plus la nôtre.
Le diable tout le temps
Nationalité Américain
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